Un homme emmitouflé dans un grand manteau attendait seul sur le quai de Pré-au-lard. Dans une main, il tenait une lampe qui créait une petite sphère de lumière entre le reste du monde et lui. À sa ceinture pendait un trousseau de clefs, et dans l’autre main une montre bizarroïde qui ne semblait pas indiquer l’heure. Et pourtant...
« Il est en retard », dit-il tout haut.
La seconde d’après, il dut reconnaître qu’il avait tort. Une colonne de fumée s’élevait au loin, et un son caractéristique retentit. Le sifflement d’une locomotive. Le Poudlard-Express transperçait la brume et le noir, fidèle au poste comme chaque année. La locomotive ralentit puis s’arrêta dans un dernier cri suraigu, et des volutes de fumée accompagnèrent l’ouverture des portes. Elle n’était pas la seule à être fidèle au poste en ce premier septembre. Le garde-chasse l’était aussi, ainsi que les élèves qu’il devait accueillir. C’était la rentrée des classes à Poudlard.
« Bienvenue, bienvenue ! » clama-t-il.
« Les premières années, avec moi ! Par ici, les premières années ! »Les élèves habillés de leurs robes de sorciers descendaient petit à petit sur le quai, formant une foule compacte autour de lui. Il continua d’appeler les premières années, jusqu’à ce que ceux qui n’étaient pas concernés se soient éloignés pour monter dans les carrosses et qu’il soit certain qu’aucun petit nouveau n’était resté dans le train. Le conducteur vérifiait déjà les wagons lorsque le groupe qui s’était créé autour du garde-chasse se mit enfin en branle.
« Par ici, suivez-moi. »Les élèves obéirent docilement. La plupart étaient intimidés. Le voyage en train était déjà impressionnant en soi, pour des nouveaux arrivés dans le monde des sorciers. Et même pour les habitués, en fait. Le garde-chasse reconnut d’ailleurs une figure familière. Sûrement le frère d’un élève plus âgé. Il conduisit les jeunes élèves jusqu’au lac, où les attendaient les barques et la traditionnelle traversée jusqu’au château. Comme il se retrouvait dans la même que le garçon qu’il avait repéré plus tôt, il lui demanda :
« Tu ne serais pas un Weaver, par hasard ? »Le gamin sourit.
« Ouaip ! Mon frère et ma sœur sont en troisième et cinquième année, à Poufsouffle ! »Il semblait extrêmement fier de lui. Parmi les jeunes à bord, seul un autre garçon semblait prêter attention à ses paroles. Les trois autres, des filles, bavardaient à voix basse. Certains avaient déjà fait connaissance dans le train, nota avec amusement le garde-chasse.
« Et toi, tu penses aller à Poufsouffle également ? »
« Non ! Moi je serai un Gryffondor ! » annonça fièrement le cadet Weaver.
Le garde-chasse s’apprêtait à poser la même question au garçon qui les écoutait, mais il avait tourné la tête entre-temps. Il suivit son regard, qui se posa sur les innombrables barques qui flottaient dans leur sillage et illuminaient le lac noir, comme de petites lucioles dansant sur les eaux. Les autres passagers de la barque furent bien vite absorbés par cette même vision.
« C’est beau ! » chuchota une des filles, comme si en parlant plus fort elle aurait brisé la magie de l’instant.
Mais à Poudlard, la magie était omniprésente. Le garde-chasse sourit :
« Et encore, vous n’avez rien vu ! »La première barque accosta sur l’autre rive du lac, et les élèves mirent petit à petit pied à terre. L’autre garçon de sa barque trébucha en descendant, et le garde-chasse le retint sans effort.
« Holà, attention où tu mets les pieds ! »
« Merci », marmonna le gamin, les yeux rivés sur le sol.
Son compère, le Weaver-qui-voulait-être-à-Gryffondor, le poussa légèrement pour désigner quelque chose au-dessus d’eux. Les murs du château les surplombaient déjà. La plupart des premières années avaient les yeux rivés sur l’immense bâtisse vieille de plusieurs siècles.
« Ouah ! » articula Weaver.
« Qu’est-ce que je vous disais ? »Le garde-chasse mena les élèves jusqu’à la porte principale du château. Tous leurs aînés se trouvaient déjà dans la Grande Salle. Seul un professeur attendait sur le seuil. Le garde-chasse lui remit les élèves puis les dépassa pour entrer dans la salle par la porte principale. À contrario le professeur, qui se présenta comme étant le directeur adjoint de l’école, leur fit traverser le Hall pour les mener à une porte dérobée, donnant sur une petite pièce adjacente à la Grande Salle du château.
« Vous allez être appelé dans l’ordre pour la Cérémonie de Répartition. Lorsque vous entendrez votre nom, vous vous avancerez pour vous asseoir sur le tabouret et revêtir le Choixpeau Magique. Il vous annoncera votre maison et vous irez vous asseoir à la table qui correspond. »
« Monsieur McFly ? » demanda une élève avec de grosses lunettes sur le nez.
« Oui ? »
« Est-ce que le Choixpeau nous demande notre avis ? »Le directeur adjoint sourit mais ne répondit pas. Cela déclencha quelques rires au sein du petit groupe. Des rires surtout nerveux, en fait. Beaucoup auraient aimé connaître la réponse à cette question, sans pourtant oser la poser. La fille se renfrogna mais ne pipa mot.
« Bien, mettez vous en rang et allons-y. »Il ouvrit la porte et la Grande Salle se dévoila aux yeux des nouveaux venus. Toutes les têtes se tournèrent vers eux, depuis la table des Poufsouffles jusqu’à celle des Serdaigles, en passant par Gryffondor, Serpentard et... même celle des professeurs. Le professeur McFly se planta à côté du tabouret sur lequel patientait le Choixpeau. Ce dernier ouvrit la fissure qui lui servait de bouche et entonna son traditionnel chant de présentation. Cette année, il se jouait sur une note joyeuse et entraînante. Les nouveaux purent même apercevoir deux professeurs se trémousser sur leurs sièges. Une fois que tout le monde eut repris en chœur le dernier couplet ainsi que le refrain, le Choixpeau se tut. Le directeur adjoint s’avança et annonça le nom du premier élève :
« Balberry Andrew ! »
« Présent ! » répondit une petite voix.
L’assemblée pouffa de rire. Le garçon qui avait bêtement répondu baissa la main aussi vite qu’il l’avait levée et rougit très fortement.
« Celui-là, il est pour Poufsouffle ! » se moqua discrètement quelqu’un.
Le garçon dont le frère et la sœur étaient dans cette maison donna un coup de coude.
« Aïe. »C’était celui qui avait trébuché en sortant de la première barque qui l’avait reçu.
« Pardon » chuchota Weaver, alors que le Choixpeau annonçait haut et fort :
« Serdaigle ! »
« Dans les dents » ricana Weaver en faisant un signe obscène à celui qui s’était moqué.
« Silence ! » fit une autre voix.
Des applaudissements retentirent à la table bleu et argent. Puis le professeur McFly appela un autre nom :
« Burry Jordan ! »Un autre garçon s’avança, plus discrètement que son prédécesseur. Le directeur adjoint lui tendit le chapeau. À peine eut-il frôlé sa tête qu’il tonna :
« Gryffondor ! »
« Mince » marmonna Weaver
« je pensais être le premier. »
« T’es dernier sur la liste » ricana une des filles qui était avec lui sur le bateau.
« La ferme. »Les élèves se succédèrent ainsi, au milieu des chuchotis du groupe de premières années, chuchotis qui disparus complètement une fois que la majeure partie des bavards eut été répartie. Ne restaient plus que deux élèves : Weaver et son compagnon de barque.
« Weaver Morgan ! » appela le professeur McFly.
Ce dernier jeta un coup d’œil au garçon qui restait puis s’assit sur le tabouret avec confiance. Il mit le Choixpeau sur sa tête et attendit le verdict, tout sourire. Ce dernier se fit attendre. Le Choixpeau semblait hésiter et, au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient, le sourire de Weaver semblait s’étioler peu à peu. Finalement, après trente bonnes secondes de silence durant lesquelles les personnes présentes s’entreregardaient sans bien savoir quoi penser, le Choixpeau déclara avec assurance :
« Gryffondor ! »
« YES ! » tonna Weaver en se levant avec le signe de la victoire.
Il rejoignit la table de sa nouvelle maison, où retentissait un tonnerre d’applaudissements. Ne restait plus que le garçon maladroit, qui fixait ses pieds, mal à l’aise.
« Winterland Jason. »L’intéressé traversa toute la Grande Salle en regardant où il mettait les pieds, puis releva les yeux pour s’asseoir sur le tabouret. Le professeur McFly lui présenta le Choixpeau, qu’il revêtit. Après trois secondes de silence, une petite voix lui dit à l’oreille :
« Ah, je devine où tu penses aller. Poufsouffle, c’est bien ça ? »Le garçon hocha légèrement la tête. N’étant pas sûr de savoir si les autres entendaient également la voix du Choixpeau, il ne voulait pas prendre le risque de répondre à haute voix.
« Les membres d’une même famille se retrouvent souvent dans la même maison », continua le Choixpeau.
« Pas toujours, cependant. »Il sembla prendre le temps de réfléchir encore un peu, puis déclara :
« Fort bien. Pour toi, ce sera sans aucun doute : Serpentard. »Les oreilles du garçon bourdonnèrent lorsqu’un nouveau tonnerre d’applaudissements retentit, à la table des Vert et Argent cette fois. Il cligna des yeux puis se rappela d’enlever le Choixpeau.
Serpentard ? Sans aucun doute ? Il marcha d’un pas raide jusqu’à la table de ses nouveaux condisciples, où on l’accueillit aussi chaleureusement qu’ailleurs. Puis, après que le directeur adjoint ait emmené le Choixpeau et le tabouret et alors que les applaudissements faiblissaient, Shawn Gryffondor, le directeur en personne, se leva pour prononcer son discours de début d’année. Les élèves de première année semblaient boire ses paroles, d’autres plus âgés avaient juste l’air de s’ennuyer.
« C’est la même chose pratiquement chaque année » déclara un grand brun de Serpentard à la droite du dernier arrivé.
« Silence, Jake. »Celle qui avait parlé était aussi grande que lui mais plus imposante, de façon différente cependant. Jason détourna presque immédiatement le regard. Ce n’étaient pas tant ses yeux gris aciers rehaussés de khôl qui le gênaient, ni son maquillage clairement gothique. Même s’il ne savait pas ce que c’était, quelque chose le gênait chez elle.
Une fois le discours du directeur achevé, on vit apparaître sur les tables quantité de plats tous plus appétissants les uns que les autres. Jason piocha un peu de tout.
« T’as l’air affamé » commenta le grand de sixième année dénommé Jake.
Jason, la bouche pleine, répondit par un hochement de tête.
« Tu m’étonnes ! » s’esclaffa un autre.
Il engagea la conversation avec les autres premières années de Serpentard, à laquelle il intégra également Jason lorsque celui-ci se manifesta :
« Est-ce que le Choixpeau se trompe, des fois ? »Le sixième année et son comparse de quatrième éclatèrent de rire :
« Pourquoi, t’es pas content d’être parmi nous ? » le taquina Jake.
Jason rougit :
« Euh, non ! C’est juste que… Enfin, je pensais pas aller à Serpentard ! » balbutia-t-il sous les regards amusés de ses aînés.
« Et où pensais-tu aller ? »C’était la fille de tout à l’heure qui avait parlé. C’était la première fois qu’elle s’adressait directement à Jason, et ce dernier sursauta.
« À… à Poufsouffle » marmonna-t-il, rouge comme une pivoine.
Les rires redoublèrent. Jason eut envie de s’enfoncer six pieds sous terre. Lorsque ses camarades se calmèrent, l’autre fille de sixième année le dévisagea un instant en silence. Son visage ne trahissait absolument pas ses sentiments. Enfin elle répondit :
« Le Choixpeau ne se trompe jamais. »À la fin du repas, les préfets de chaque maison se levèrent pour guider les premières années vers leur salle commune. Ceux qui savaient déjà comment s’y rendre passèrent devant, tandis que les nouveaux s’assemblaient autour de leurs aînés. La gothique se leva. Un garçon de la même année qu’elle l’imita.
« Les premières années, suivez-moi » déclara la fille.
Elle se mit en marche sans attendre. Son comparse attendit que tous les premières années soient derrière elle pour fermer la marche. La préfète de Serpentard les guida jusqu’aux sous-sol du château, là où se trouvait la salle commune de leur maison. Elle s’arrêta devant l’entrée et énonça haut et fort le mot de passe permettant l’ouverture du passage secret. Son homologue masculin expliqua qu’il était important de ne pas oublier le mot de passe, sans quoi on passait la nuit dehors. Il dissuada l’utilisation de penses bêtes facilement oubliés ou perdus et conseilla aux têtes en l’air d’inscrire le mot sur la paume de leur main. Tout en parlant, il ne cessait de jeter des coups d’oeil en direction de la préfète. Cette recherche constante d’approbation laissa penser à Jason que c’était elle qui devait donner les ordres au sein du duo. Et peut-être du reste des Serpentards. Les deux préfets les firent entrer dans la salle commune, sobrement décorée. Cela n’enlevait rien à son charme et Jason se surpris même à penser qu’après quelques mois, il finirait sûrement par se sentir à l’aise et chez lui dans les fauteuils de cuirs, près des cheminées de pierre. Le seul désavantage était l’absence de fenêtre, mais de riches tentures vert et argent ainsi que de beaux tableaux – parfois un peu sombres – comblaient ce vide. Jason ne s’attarda pas dans la salle commune mais suivit le petit groupe de garçons qui montaient se coucher. Chaque dortoir comportait de la place pour cinq personnes. Jason partageait le sien avec des garçons plus bavards que lui, aussi s’installa-t-il dans son coin pour rapidement se coucher. Avant de s’endormir, il repensa au voyage dans le train, ainsi qu’à ses parents qu’il avait laissés sur le quai. Et surtout, il repensait aux paroles de la préfète de Serpentard. « Le Choixpeau ne se trompe jamais. » Jason bâilla. Les portes du sommeil s’ouvraient à lui. La préfète avait-elle raison ? Elle semblait en savoir long... et c’était sûrement son rôle en tant que préfète, en fait. En tout cas, les autres donnaient l’impression de l’écouter et de la respecter. Même les plus bruyants, comme ce Jake. Jason se retourna dans son lit en attendant que Morphée veuille bien refermer ses bras sur lui. Comme s’appelait-elle, déjà ? Ce serait bête d’oublier son nom, autant ne pas donner une mauvaise image de lui à la préfète de sa maison... Qu’avait-elle dit, déjà ? Ah, oui. Landheart. Anna Landheart.
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